Qu'est-ce que la prévision saisonnière ?
04/03/2021En plus des prévisions météorologiques classiques pour les jours à venir, Météo-France élabore des prévisions pour des échéances plus longues, notamment pour les trois prochains mois. Ces prévisions, dont l'utilité est plus manifeste pour les tropiques qu'aux latitudes tempérées, représentent un enjeu scientifique pour lequel des travaux de recherche sont indispensables.
Les prévisions saisonnières fournissent les grandes tendances de quelques paramètres météorologiques (température et précipitations) pour les mois à venir, à l'échelle de vastes régions (au moins 1000 km sur 1000 km). À ces échéances, les variations de la température, de la salinité, et des courants des océans, notamment tropicaux, ont des influences significatives sur l'évolution de l'atmosphère. Les variations de la glace de mer et des surfaces continentales (humidité du sol, couverture de neige) jouent aussi un rôle dans l'évolution de l'atmosphère. Pour produire les prévisions saisonnières, on utilise donc des modèles climatiques qui simulent l'évolution de l'atmosphère, des océans, des glaces de mer… et leurs interactions.
On cherchera par exemple à déterminer si l'été prochain sera en moyenne chaud et sec ou froid et humide en Europe de l'Ouest.
Les prévisions saisonnières à Météo-France
Chaque mois, un groupe d'experts de Météo-France et de Mercator Océan produit ces prévisions pour le trimestre à venir en s'appuyant sur le modèle numérique de climat CRNM-CM qui associe notamment le modèle d'atmosphère Arpege-Climat et le modèle d'océan Nemo, développé par le Locean. Le modèle CMRM-CM est une des composantes du système multi-modèles « Euro-Sip », qui produit des prévisions saisonnières en mixant les résultats de 5 modèles (français, anglais, américain, japonais et le modèle du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT)). La multiplication des sources de données renforce la prévisibilité des paramètres météorologiques à long terme.
Les climatologues de Météo-France examinent ainsi chaque mois le système climatique global (observations des océans, de l'atmosphère et des glaces de mer) et analysent les résultats de différents modèles de prévision saisonnière (système Euro-Sip et autres modèles). Ils établissent, en collaboration avec des chercheurs spécialistes de la modélisation et des océanographes, une synthèse de ces prévisions saisonnières pour le trimestre à venir. Cette synthèse sert notamment à l'élaboration d'un bulletin.
Qui d’autre réalise des prévisions saisonnières dans le monde ?
La plupart des grands centres de prévision numérique réalisent ce type de prévision : le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT), des services météorologiques nationaux comme Météo-France, le Met Office anglais, les services japonais, coréen, chinois, indien, canadien, australien, marocain, le National Center for Environmental Prediction américain (NCEP). Des organismes de recherche produisent aussi ce type de prévisions : le Max-Planck Institut en Allemagne, l'International Research Institute for Climate Prediction (IRI) aux États-Unis, ou le CPTEC (centre de recherche brésilien).
Comment réalise-t-on les prévisions saisonnières ?
On utilise, comme pour les prévisions classiques, des modèles (simulations informatiques) planétaires. Mais ceux-ci reproduisent en plus le comportement d'autres milieux en forte interaction avec l'atmosphère, comme l'océan. À l'échelle de la saison, l'évolution de l'atmosphère est fortement influencée par la variation océanique. Elle peut engendrer par exemple des conditions favorisant un passage très au nord des perturbations atlantiques, ou qui vont modifier radicalement les zones soumises à de fortes pluies dans les tropiques, ou encore qui vont générer de fortes chaleurs et sécheresses.
Une prévisibilité meilleure dans la zone tropicale qu’aux latitudes tempérées
L'atmosphère est un système « chaotique » : au-delà d'une certaine échéance, deux états atmosphériques très proches au départ peuvent évoluer vers deux états finaux très différents. C'est l'« effet papillon »*. En pratique, il est impossible de décrire l'état initial de l'atmosphère avec suffisamment de précision pour pouvoir prévoir son évolution réelle de manière univoque. Les équations qui régissent l'évolution de l'atmosphère fournissent un ensemble de solutions, qui décrivent toutes une évolution possible de l'atmosphère à longue échéance. L'atmosphère réelle va suivre un seul de ces scénarios, pas systématiquement la solution moyenne. Aucun modèle numérique ne peut prédire lequel avec certitude.
Ainsi les prévisions saisonnières ne font pas émerger un scénario certain pour le trimestre à venir (plus/moins chaud, plus/moins humide que la normale), mais fournissent un jeu de scénarios possibles, plus ou moins probables.
Pour estimer les probabilités associées à chacun des scénarios, les climatologues comparent les résultats de divers modèles numériques. Aux moyennes latitudes, et notamment en Europe, le consensus entre les modèles est rare. Il est alors très difficile pour les climatologues de dégager une distribution des températures et précipitations pour la saison à venir différente de la distribution climatologique, fondée sur les observations des années antérieures.
Pour la zone tropicale, la prévisibilité est en revanche bien meilleure.
*Cette métaphore de la sensibilité aux conditions initiales a été utilisée pour la première fois en 1972 par le météorologiste E. Lorenz.
Pourquoi réaliser des prévisions saisonnières alors que leur fiabilité est limitée?
La prévision saisonnière est la première étape de ce qu'on appelle les « services climatiques » qui couvrent également les prévisions décennales ou les projections à un siècle d'un accroissement de l'effet de serre.
Ces prévisions sont effectuées à l'échelle du globe, pas seulement sur le territoire métropolitain. Beaucoup de nos départements et territoires d'outre-mer se situent dans des zones pour lesquelles la fiabilité des prévisions saisonnières est bonne. Elles sont aussi très utilisées sur l'ensemble du continent américain, en Afrique de l'Ouest et dans le sud-est asiatique.
Dans la zone tropicale, les prévisions saisonnières sont exploitées dans de nombreuses applications. Les prévisions saisonnières peuvent par exemple être utiles dans des prises de décisions stratégiques sur des périodes de quelques mois. Elles sont utilisées pour la gestion du barrage de Manantali (Afrique de l'Ouest) pour estimer les volumes d'eau à relâcher en tout début de saison sèche en fonction des quantités d'eau attendues lors de la saison des pluies. Elles fournissent aussi des informations capitales pour la préparation à de grandes anomalies climatiques. Sur la base de ces prévisions, la Croix Rouge Internationale a, par exemple, pris des mesures préventives en 2008 pour lutter contre les inondations qui ont touché l'Afrique de l'Ouest.
Malgré leur fiabilité limitée à nos latitudes, ces prévisions présentent un intérêt pour les décideurs dont l'activité est météo-dépendante (énergie, assurance, agriculture, hydrologie). Quand une tendance se dégage, elles constituent une information supplémentaire par rapport à la " simple " climatologie (le climat moyen en un lieu et à une période donnée). Associées à d'autres données, elles permettent alors d'anticiper, de prendre des décisions à des échéances de l'ordre de quelques mois. Elles peuvent être utilisées par exemple dans des domaines comme la prévision hydrologique, l'objectif étant alors de prévoir l'humidité des sols et des débits des fleuves au printemps.
Météo-France a engagé des partenariats avec des entreprises des secteurs des assurances et de l'énergie, afin d'évaluer l'intérêt économique de telles informations. Des applications dans le domaine de la santé (maladies à vecteur comme la dengue) sont aussi en cours de développement dans les régions tropicales.
Les prévisions saisonnières peuvent-elles prévoir les canicules ou les vagues de froid ?
Les prévisions saisonnières ne permettent pas de prévoir des canicules ou des vagues de froid d'une durée de quelques jours à quelques semaines. Ces épisodes peuvent être prévus, mais seulement quelques jours à l'avance, par la prévision météorologique " classique ". La prévision saisonnière s'efforce seulement de déterminer si la saison à venir sera plutôt plus chaude, plus froide que la moyenne ou simplement proche de la moyenne. Elle ne permet pas de prévoir l'intensité d'une séquence particulière d'une à deux semaines au cours de ces 3 mois.