Damien Rietz
Les émissions de gaz à effet de serre toujours en hausse, limiter le réchauffement planétaire sous 1,5 °C n'est désormais plus atteignable
19/06/2025Pour la troisième année consécutive, un consortium international de soixante chercheurs, impliquant principalement en France des scientifiques de Météo-France, du CEA, du CNRS et de Mercator Ocean International, a actualisé les indicateurs géophysiques clés du changement climatique planétaire. Leurs résultats, publiés dans la revue scientifique Earth System Science Data, indiquent que le budget carbone restant pour limiter le réchauffement planétaire à moins de 1,5 °C sera épuisé d’ici 3 ans, au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre.
Les émissions de gaz à effet de serre toujours en hausse, avec un niveau record de 55 milliards de tonnes de CO2eq
Les conclusions de l’étude révèlent que les émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter, et ont atteint le niveau record de 55* milliards de tonnes de CO2 équivalent en 2023. Les données préliminaires indiquent que la hausse s’est poursuivie en 2024. Cette augmentation est principalement liée à l’utilisation toujours croissante des énergies fossiles au niveau mondial, et à la déforestation. Nos émissions de gaz à effet de serre entraînent une augmentation de leurs accumulations dans l’atmosphère. En parallèle, la diminution des émissions de dioxyde de soufre (SO2), pour améliorer la qualité de l’air, a réduit l’effet “parasol” refroidissant des particules soufrées. Cette réduction contribue également au réchauffement de la dernière décennie.
En 2024, le réchauffement dû aux activités humaines atteint 1,36 °C
À l’échelle de cette dernière décennie (2015-2024), la température moyenne à la surface de la Terre a dépassé de 1,24* °C la valeur préindustrielle (1850-1900), dont 1,22* °C dus aux activités humaines, soit la quasi-totalité du réchauffement observé. Le réchauffement dû aux activités humaines a augmenté à un rythme d'environ 0,27* °C par décennie au cours des 10 dernières années (2015-2024).
En 2024, la température à la surface du globe a atteint un niveau record avec 1,52* °C par rapport à la fin du 19e siècle. Le réchauffement dû aux activités humaines atteint 1,36* °C cette même année, et se poursuit à un rythme rapide. En 2024, sur ce réchauffement de long terme s’est superposée, de manière temporaire, une combinaison de fluctuations spontanées du climat (événement El Niño, variabilité de l’Océan Atlantique). Les analyses conduites dans cette étude montrent que la température record de 2024 ne doit pas nous surprendre, et fait partie de la plage de température attendue dans un monde déjà 1,36 °C plus chaud.
Les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat visent à limiter le réchauffement planétaire bien en dessous de 2 °C, avec la volonté de renforcer les efforts pour le limiter à 1,5 °C, et ainsi limiter l’aggravation des risques climatiques. Ce n’est pas parce qu’une seule année dépasse 1,5 °C au-dessus du niveau pré-industriel que ce niveau de réchauffement planétaire, au sens climat, est franchi. Avec la poursuite du réchauffement, cela se produira de plus en plus fréquemment, et, quand le niveau de réchauffement planétaire atteindra 1,5 °C, il y aura une chance sur deux que chaque année dépasse 1,5 °C au-dessus du climat pré-industriel.
Au niveau actuel d’émission de gaz à effet de serre, le budget carbone sera épuisé en un peu plus de 3 ans
L'estimation du budget carbone résiduel permettant d’avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à 1,5 °C n’est plus que de 130* milliards de tonnes de CO2 (à partir du début de l'année 2025). Au niveau actuel d’émissions, ce budget serait épuisé en un peu plus de trois ans. Le réchauffement planétaire ne cessera de s’aggraver que lorsque les émissions de CO2 provenant des combustibles fossiles et de la déforestation seront réduites à zéro. Diminuer les émissions de méthane peut permettre de limiter efficacement le réchauffement dans les prochaines années.
La montée du niveau de la mer s’accélère
Le réchauffement planétaire s’explique par un excès de chaleur qui s'accumule dans le système terrestre à un rythme accéléré. Cette perturbation de l'équilibre énergétique de la planète affecte toutes les composantes du système climatique, dont l’atmosphère, l’océan, la cryosphère, le cycle de l’eau, etc. La montée du niveau de la mer, causée par le réchauffement de l’océan et la fonte des glaces continentales, atteint 22,7* cm depuis 1901 et voit son rythme s’accélérer. Entre 2019 et 2024, le niveau moyen de la mer a augmenté d'environ 26* mm, bien plus rapidement que le rythme moyen de 1,8* mm par an observé depuis le début du XXe siècle.
Références : “Indicators of Global Climate Change 2024: annual update of key indicators of the state of the climate system and human influence’’, Earth System Science Data, 2025. Forster, P. M., Smith, C., Walsh, T., Lamb, W. F., Lamboll, R., Cassou, C., Hauser, M., Hausfather, Z., Lee, J.-Y., Palmer, M. D., von Schuckmann, K., Slangen, A. B. A., Szopa, S., Trewin, B., Yun, J., Gillett, N. P., Jenkins, S., Matthews, H. D., Raghavan, K., Ribes, A., Rogelj, J., Rosen, D., Zhang, X., Allen, M., Aleluia Reis, L., Andrew, R. M., Betts, R. A., Borger, A., Broersma, J. A., Burgess, S. N., Cheng, L., Friedlingstein, P., Domingues, C. M., Gambarini, M., Gasser, T., Gütschow, J., Ishii, M., Kadow, C., Kennedy, J., Killick, R. E., Krummel, P. B., Liné, A., Monselesan, D. P., Morice, C., Mühle, J., Naik, V., Peters, G. P., Pirani, A., Pongratz, J., Minx, J. C., Rigby, M., Rohde, R., Savita, A., Seneviratne, S. I., Thorne, P., Wells, C., Western, L. M., van der Werf, G. R., Wijffels, S. E., Masson-Delmotte, V., and Zhai, P.: Indicators of Global Climate Change 2024: annual update of key indicators of the state of the climate system and human influence, Earth Syst. Sci. Data, 17, 2641–2680, https://doi.org/10.5194/essd-17-2641-2025, 2025.
* : Tous les chiffres de cette étude sont assortis de fourchettes d'incertitudes, disponibles dans l’article scientifique, mais qui ne sont pas détaillées dans ce communiqué de presse.
Citations des différents scientifiques issus de plusieurs organismes français (CEA, CNRS, IPSL, Mercator Océan international, Météo-France, Paris Saclay) ou internationaux ayant participé à l’étude
Le professeur Piers Forster, directeur du Priestley Centre for Climate Futures de l'université de Leeds et auteur principal de l'étude, a déclaré : « Notre troisième édition annuelle des indicateurs clé du changement climatique planétaire montre que les niveaux et le rythme du réchauffement sont sans précédent. La poursuite des émissions de gaz à effet de serre à un niveau record signifie que nous sommes de plus en plus nombreux à être exposés à des impacts climatiques dangereux. Les températures ont augmenté d'année en année depuis le dernier rapport du GIEC en 2021, ce qui montre que les politiques climatiques et le rythme de l'action climatique ne sont pas à la hauteur de ce qui est nécessaire pour faire face à des impacts de plus en plus importants ».
Aurélien Ribes, directeur du groupe de recherche sur le climat à Météo-France a déclaré : « Cette mise à jour 2024 dépeint un monde qui continue à se réchauffer à un rythme soutenu, en raison de la persistance d'émissions élevées de gaz à effet de serre élevées, qui ont même atteint un nouveau niveau record cette année. Ce réchauffement s'accompagne d'une intensification de nombreux événements extrêmes et d'impacts croissants sur les écosystèmes et les sociétés humaines. Ce tableau d'ensemble est tout à fait conforme aux projections faites par la communauté scientifique depuis plusieurs décennies. »
Karina Von Schuckmann, conseillère principale en sciences océaniques pour la politique de Mercator Ocean International, a déclaré : « L'océan stocke environ 91 % de cet excès de chaleur dû aux émissions de gaz à effet de serre, ce qui entraîne un réchauffement des océans. Le réchauffement des eaux entraîne une élévation du niveau des mers et une intensification des phénomènes météorologiques extrêmes, et peut avoir des effets dévastateurs sur les écosystèmes marins et les communautés qui en dépendent. En 2024, l'océan a atteint des valeurs record à l'échelle mondiale ».
Aimée Slangen, responsable de la recherche à l'Institut royal néerlandais de recherche sur la mer (NIOZ), a déclaré : « Depuis 1900, le niveau moyen de la mer s'est élevé d'environ 228 mm. Ce chiffre, apparemment faible, a un impact démesuré sur les zones côtières de faible altitude, rendant les ondes de tempête plus dommageables et provoquant une érosion côtière plus importante, ce qui constitue une menace pour l'homme et les écosystèmes côtiers. Ce qui est inquiétant, c'est que nous savons que l'élévation du niveau de la mer en réponse au changement climatique est relativement lente, ce qui signifie que nous avons déjà programmé de nouvelles augmentations pour les années et les décennies à venir.»
Sophie Szopa, directrice de recherche CEA au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, a déclaré : “Seule l’atteinte d’émissions nettes nulles de CO2 permettra de stabiliser la température mondiale et une partie des conséquences graves du réchauffement climatique, cette mise à jour des indicateurs rappelle qu’il est plus que temps d’entamer l’inflexion des émissions mondiales vers leur baisse. Le méthane est un composé clé pour limiter le réchauffement à court terme ce qui aurait également des bénéfices sur la pollution de l’air et pourtant sa concentration a fortement augmenté ces dernières années”.
Selon Pierre Friedlingstein, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de Météorologie Dynamique, “Les émissions de gaz à effet de serre étant toujours en augmentation, le budget carbone pour limiter le réchauffement à 1.5 °C est réduit à l'équivalent de trois années d'émissions de CO2. Le dépassement du seuil de 1.5 °C est désormais inéluctable”.
Selon Christophe Cassou, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de Météorologie Dynamique, “La valeurs de température globale de 2024 ne doit pas être considérée comme exceptionnelle mais attendue considérant les quantités de CO2 accumulées dans l'atmosphère. Il y avait une chance sur deux d’atteindre ces valeurs en présence d’un événement El Nino et d’une baisse de vent dans l’Atlantique”.
Selon Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche CEA au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement de l’Institut Pierre Simon Laplace, “Les faits scientifiques sont très clairs. Le réchauffement dû aux activités humaines se poursuit à un rythme encore plus rapide, avec une aggravation des impacts observés, en France comme dans toutes les régions du monde, sur terre comme en mer, et une accélération du rythme de montée du niveau de la mer, avec des enjeux majeurs pour tous les littoraux. Nous allons rapidement atteindre un niveau de réchauffement de 1,5 °C, et la suite dépend des choix qui vont être faits : nous pouvons, en réduisant fortement les émissions de gaz à effet de serre, limiter l’ampleur du réchauffement à venir, et protéger les jeunes générations de l’intensification des évènements extrêmes”.
À propos de l'IGCC
Une équipe internationale de scientifiques se réunit chaque année pour fournir les estimations les plus à jour sur l'évolution du climat, dans le cadre de l'initiative des indicateurs sur le changement climatique global (IGCC). L’IGCC fournit des mises à jour annuelles des principaux climat (GIEC), en suivant le plus fidèlement possible les méthodes utilisées dans le sixième rapport d’évaluation (AR6) du groupe de travail 1 (GT1). Cette mise à jour suit la chaîne de causalité, des émissions de GES jusqu'au niveau de réchauffement induit par l'homme, puis au budget carbone restant, en quantifiant l’influence des activités humaines sur le système climatique.
De plus amples informations sur l'IGCC sont disponibles sur son site web.
L'IGCC collabore également avec le Climate Change Tracker dans le but de fournir une plateforme conviviale de référence pour suivre, visualiser et comprendre ces indicateurs.
L'étude de cette année a été réalisée par une équipe internationale de 61 scientifiques, dont des auteurs principaux du GIEC, des auteurs contributeurs et des scientifiques des chapitres, issus de 54 instituts répartis dans 17 pays.
Liste complète des indicateurs traités
- Émissions de gaz à effet de serre,
- Concentrations de gaz à effet de serre et émissions d’espèces chimiques à courte durée de vie générant un forçage climatique,
- Forçage radiatif effectif,
- Déséquilibre énergétique de la Terre,
- Observations de l'évolution de la température à la surface du globe,
- Réchauffement induit par les activités humaines,
- Budget carbone restant pour les seuils de température pertinents pour les politiques,
- Températures maximales à la surface des terres,
- Précipitations terrestres mondiales,
- Élévation moyenne du niveau de la mer à l'échelle mondiale