Simuler le climat de demain
05/10/2021Les scientifiques n'ont pas une approche unique du changement climatique. Ils utilisent plusieurs modèles de simulation du climat, envisagent différents scénarios socioéconomiques d'évolution de notre planète et tiennent aussi compte de la variabilité propre du climat qui ne peut être précisément anticipée. Les scénarios socioéconomiques, les modèles et le climat lui-même sont les trois causes d'incertitudes de la simulation climatique.
Modéliser le climat de demain
Pour imaginer le climat du XXIe siècle, il faut se représenter les possibilités d'évolution de l'humanité. Va-t-elle ou non continuer à émettre des gaz à effet de serre en grandes quantités ? La réponse à cette question repose, entres autres, sur les changements démographiques à l'échelle mondiale, les choix énergétiques futurs, les développements économiques, l'application de politiques environnementales, etc.
Pour simuler l'évolution du climat sur la planète, les chercheurs reproduisent le fonctionnement de la machine climatique, c'est-à-dire les interactions entre l'atmosphère, l'océan, la glace de mer, les continents. Ils établissent ainsi des modèles de climat. Les modèles simulent l'évolution du climat à longues échéances.
Les scientifiques imposent à ces modèles différents paramètres : émissions de CO2, critères socioéconomiques... Ils construisent ainsi autant d'évolutions possibles du monde, appelés des scénarios.
Grâce à la puissance de calcul des supercalculateurs, les modèles livrent ainsi plusieurs simulations d'évolution du climat passé et futur en fonction des scénarios retenus.
L’homme modifie le climat
L'étude de l'évolution du climat nécessite le recours à des modèles physiques qui prennent en compte l’ensemble des équations décrivant le comportement du système climatique (composé de l’atmosphère, l’océan, les glaces marines, la végétation, les rivières…), en réponse à différentes contraintes, appelées forçages climatiques. Les forçages climatiques sont des perturbations d’origine extérieure au système climatique qui impactent son bilan radiatif, c’est-à-dire la différence entre l’énergie reçue en provenance du Soleil et l’énergie rayonnée par la Terre vers l’espace. Ils sont de deux types : naturels, notamment liés aux variations du rayonnement solaire et aux éruptions volcaniques, ou anthropiques, dus aux activités humaines. La pression exercée par l’homme sur le climat date principalement du début de l’ère industrielle au XIXe siècle. La combustion d’énergie fossile ainsi que la modification de l’utilisation des sols, et notamment la déforestation, ont entraîné une augmentation continue de la concentration atmosphérique des Gaz à effet de serre (GES). Ces gaz se caractérisent par leur capacité à absorber puis à réémettre l’énergie rayonnée par la surface terrestre. Ils contribuent ainsi à réchauffer la surface terrestre et une partie de l’atmosphère. Les activités humaines sont également responsables de l’émission d’autres composants chimiques, tels que les aérosols (petites particules liquides ou solides en suspension dans l’air) qui perturbent aussi le bilan radiatif de manière significative, mais cette fois à la baisse, en réduisant l’énergie solaire reçue à la surface.
Les scénarios d'émission de gaz à effet de serre
Les modifications de la composition chimique de l’atmosphère et plus précisément la concentration des GES, sont la principale cause des changements climatiques observés et à venir. Modéliser le climat futur implique donc de faire des hypothèses sur l’évolution des émissions dites anthropiques de GES et d’aérosols au cours des prochaines décennies. L’évolution de ces émissions anthropiques dépend d’un ensemble de facteurs tels que la croissance démographique, le développement socioéconomique, les évolutions technologiques et les choix politiques futurs. Prédire avec précision l’évolution de ces facteurs n’est pas possible, c’est pourquoi les climatologues utilisent une gamme de scénarios d’émissions de GES, dont chaque scénario correspond à une représentation plausible du comportement à venir des sociétés humaines.
Les scénarios d’émission RCP
Dans le cadre du cinquième rapport du Giec (2013), quatre scénarios représentatifs ont été sélectionnés parmi plus de 1 000 disponibles. Baptisés RCP (pour Representative Concentration Pathways, ou Profils représentatifs d’évolution de concentration), ils fournissent une base commune aux différentes équipes d’experts (climatologues, hydrologues, agronomes, économistes…), qui travaillent sur ce sujet. Le RCP2.6 décrit un monde vertueux, très sobre en émissions de gaz à effet de serre, dans lequel le réchauffement global reste inférieur à 2 °C par rapport aux températures préindustrielles. C'est le seul parmi les quatre scénarios qui respecterait l'accord international de Paris sur le changement climatique approuvé en décembre 2015. Le RCP8.5 décrit quant à lui un futur excluant toute politique de régulation du climat, menant à environ 5 °C de réchauffement global d’ici la fin du siècle. Les scénarios RCP4.5 et RCP6.0 décrivent des voies intermédiaires, dans lesquelles les émissions continuent de croître pendant quelques décennies, se stabilisent avant la fin du XXIe siècle, puis décroissent à un rythme plus modéré que dans le RCP2.6.
Ces scénarios d’émission sont utilisés en entrée de modèles climatiques globaux (Global Climate Model, GCM) dont l’objectif est de simuler l’évolution du climat à l’échelle mondiale. Pour un scénario d’émission donné, le climat simulé diffère d’un modèle à l’autre – ce qui reflète notre compréhension imparfaite du système climatique. Pour tenir compte de l’incertitude liée aux modèles et mieux représenter la gamme des futurs possibles, il est donc nécessaire de considérer de larges ensembles de projections climatiques.
Projections climatiques : passer du global au local
Les simulations climatiques globales renseignent sur l'évolution du climat à l'échelle du globe. Pour affiner le diagnostic, par exemple, à l'échelle de la France, les climatologues de Météo-France produisent aussi des simulations régionalisées.
La plupart des modèles qui simulent l'évolution du climat à l'échelle du globe découpent la surface de la Terre en mailles d'environ 150 km de large. Cette résolution est limitée par la puissance de calcul disponible. Mais à cette échelle, il est difficile de prendre en compte les phénomènes météorologiques locaux, comme ceux qui se produisent en montagne ou sur une île dont la taille est inférieure à celle de la maille. Avec une maille de 150 km, le relief des terres émergées n'est pas très détaillé : le Massif central et les Alpes ne forment par exemple qu'un seul bloc, ce qui masque le sillon rhodanien et les phénomènes météorologiques qui s'y produisent, comme le mistral.
Or, des diagnostics sur l'évolution future de ce type de phénomènes sont indispensables aux acteurs socioéconomiques pour mener des études d'impact du changement climatique, dans des domaines comme l'hydrologie ou la production agricole.
Différentes méthodes de régionalisation
Pour affiner le diagnostic à l'échelle d'une région du globe ou d'un pays, les climatologues produisent des simulations régionales, grâce à des méthodes dites « de descente d'échelle » qui permettent de descendre à des échelles plus fines, de l'ordre de la dizaine de kilomètres.
Une première approche, dite « dynamique », consiste à résoudre explicitement la physique et la dynamique du système climatique régional en utilisant par exemple :
– des modèles globaux capables de zoomer sur une zone. La résolution est alors plus fine sur ce domaine que pour une simulation globale classique, au détriment du reste du globe. Le modèle global Arpege-Climat de Météo-France est ainsi capable d'atteindre une résolution horizontale de 12 km sur une zone couvrant la France et ses pays limitrophes, 50 km sur l'Atlantique, l'Afrique et une partie de l'Asie, 150 km sur le reste du monde ;
– des modèles à aire limitée. Ils simulent l'évolution du climat sur une zone restreinte du globe, qu'ils décrivent plus finement que les modèles globaux. Le modèle régional Aladin-Climat a ainsi une résolution d'environ 12 km sur une zone couvrant la France.
Une autre possibilité est de réaliser une descente d'échelle dite « statistique ». Cette seconde approche permet de passer des simulations globales à des simulations régionales sans nouvelle modélisation, en utilisant des relations statistiques entre paramètres calculés par le modèle et variables locales que l'on souhaite déterminer.
Ces méthodes de descente d'échelle conduisant à une augmentation « artificielle » de la résolution, un calcul d'erreur est nécessaire pour déterminer la confiance que l'on peut accorder aux résultats.
Météo-France en appui du Giec
Grâce à des modèles de climat parmi les plus performants au monde, Météo-France contribue à la lutte contre le changement climatique en participant activement aux travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec).
Acteur majeur du climat, Météo-France occupe une place centrale dans la recherche mondiale. Au premier rang de la communauté scientifique internationale, les équipes du CNRM (Centre national de recherches météorologiques) contribuent chaque année à faire avancer des projets européens et internationaux pour approfondir la compréhension des phénomènes météorologiques à enjeux. Ils participent également à la mise au point des modélisations du climat afin de simuler ses évolutions futures.
Un des projets emblématiques est le projet CMIP6 au sein duquel la communauté internationale en climatologie s’est engagée au profit du Giec dans un important exercice de simulations numériques du climat, passé et futur, avec pour la France, le CEA, le CNRS et Météo- France. Ces simulations alimenteront le 6e rapport du Giec.
Par ailleurs, les chercheurs de Météo-France, notamment au sein du CNRM (unité de recherche Météo-France/CNRS), publient chaque année un grand nombre d'études liées au changement climatique. Beaucoup d'entre elles sont évaluées par le Giec et certaines sont citées dans les différents rapports d'évaluation.
Ainsi en 2018, le Giec a publié un rapport spécial d’évaluation du changement climatique sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C, auquel 80 chercheurs, dont 11 Français et 3 chercheurs de Météo-France de l'UMR CNRM ont été impliqués à des degrés divers dans sa rédaction.
En 2019, Samuel Morin, actuel directeur du CNRM, a participé en qualité d'auteur au chapitre 2, dédié à la haute montagne, du rapport spécial du Giec sur les océans et la cryosphère. Il a également pris part à la rédaction du résumé pour décideurs de ce rapport spécial.